jeudi 1 janvier 2009

Le petit pervers

Je traversais tranquille le Sahara. Sûr de moi à bord de mon flambant Cessna SkyHawk 172 que j’avais acheté d’occasion. Il s’agit d’un fameux avion, fin comme un oiseau. Je fendais l’air brûlant et aride du désert, j’avais pour mission d’apporter des vivres à des populations affamées du Sahel parce que c’était la saison sèche et qu’un bon héros de feuilleton se doit d’avoir des valeurs humanistes sinon humanitaires. Ou alors c’était simplement un vol de plaisance, je ne sais plus, en tout cas le héros c’était moi. Quoi qu’il en soit tout se passait pour le mieux. L’altimètre altimait et mon autoradio passait en boucle la dernière cassette de Pascal Obispo, le pied je vous dis. Je volais donc tout droit le sourire béant. Quand soudain bim la panne. Le moteur auxiliaire gauche ne voulait s’auto injecter sous pression réduite malgré les compresseurs braqués au ralenti et calés en mode ascension. La grosse poisse. Je n’avais pour choix que me poser en douceur sur le sable fin d’une dune saharienne ou mourir à bord. J’optais avec courage pour la première solution. Comme j’étais un fin pilote l’avion se posa sans encombre. Le moteur toussotait encore un peu puis plus de bruit, il fallait se rendre à l’évidence, j’étais dans un bon pétrin. Cela se confirma lorsque j’examinais de plus prêt la panne. Une durite avait sauté. Bien sûr j’allais pouvoir réparer mais bon dieu il allait falloir un certain bout de temps c’était sûr. Ni un ni deux, je sortit le cric, la clé à molette et la roue de secours du coffre et commençait la réparation. C’est alors que je le vis.

Il sortit de nul part, tel un chamane touareg. Mais bon dieu c’est un gosse. Qu’est-ce que tu fais là ? En plein désert ? Et ta maman ? Comment t’es fringué ? Le petit homme s’approchait de moi et me lança à la dérobé cette question, qui désormais devait me hanter.

« S’il te plait dessine moi une femme à poil »

Bon dieu c’était tout moi ça. Voilà ma chance. Seul, seul au milieu du néant et il faut que je tombe sur un gosse pas encore pubère complètement obsédé. Le pauvre garçon devait marcher depuis des lustres en plein caniar et la soif ou la faim, la fatigue que sais-je l’a rendu vicieux.

« Pardon ? »

« S’il te plait dessine moi une femme à poil »

Incroyable. Tout simplement incroyable. Je le regardais incrédule.

« Mais enfin pourquoi une femme à poil ? Pourquoi ? Je ne sais pas tu ne préfères pas un mouton par exemple ? En plus franchement ça serait cool parce que mon truc niveau dessin c’est bien les moutons, ah ça je suis fort. »

« Non non c’est une femme à poil que je veux. »

Bordel. Complètement chtarbé le mioche. Comme j’avais pas que ça à faire et que je ne voulais pas rester en rade des plombes avec mon zingue je m’exécutais dare dare. Hop je sorti mon chevalet sur le sable et je crayonnais une superbe femme à poil avec tous les détails tout beau tout beau. Des petits seins tout chouettes tout courbés et des fesses pareil. J’étais bien content de moi ma foi. Je donnais le croquis au gamin qui le regarda sceptique.

« Non non il y a des poils, tu veux pas me la faire épilée je préfère. »

Quoi ? En plus monsieur est difficile ? Bon et bien y a qu’à gommer. Je n’étais pas à une touffe près après tout et, bon, on m’attendait pour dîner. Alors hop un coup de gomme et j’otais la pilosité pubienne apparemment superflue à en croire mon drôle d’ami. Et puis je voudrais pas dire mais une femme à poil par définition ça a des poils, quoi, la barbe.

« Et là elle te va ma femme à poil ? » dis-je un brin agacé.

« ah en fait non je veux bien plus de fesses et des gros seins »

Je restais sans voix. Ainsi ce pignouf était réellement libidineux. Ça alors. Quelle éducation. Ça alors. Bon euh zut quoi je vais pas y passer ma vie. Je rajoutais d’avantages de formes, un gros popotin et tout le tintouin on aurait dit une fille de la rue St-Denis.

« Bon et là ? »

« C’est tout à fait comme ça que je l’imaginais » « Merci ».

Et le croirez vous ou non. Mais il est partit. Comme ça avec son dessin porno entre les dunes. Et dans le soleil couchant j’ai vu sa silhouette disparaître petit à petit jusqu'à se fondre complètement avec l’horizon. Le petit pervers emportait avec lui ses mystères et ma femme à poil.

Bien sûr j’ai réparé mon avion. Bien sûr j’ai volé vers d’autres horizons. Et me revenait dans ma tête cette question lancinante et les yeux fascinés d’un enfant avide des pires images.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai retrouvé la trace de ce personnage singulier. Il se faisait appeler « le petit prince », disait qu’il venait d’une autre planète (tu m’étonnes), et voulait partager plus que de l’amitié avec un renard (zoophile en plus !). Un soir de débauche, l’enfant du désert a confié son histoire peu reluisante à mon collègue aviateur Saint Exupéry. Ce dernier, fin saoul comme à son habitude, se mit à écrire l’histoire de la vie de ce fils de malheur. Dans son petit bouquin bâclé, Saint-Ex s’est adjugé mon rôle et a transformé le récit abject de la vie du petit prince en fable niaise et moralisante.

N’y croyez pas. Moi je sais la vérité.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

« S’il te plait dessine moi la verité »